"Le Christ des tranchées"

                                                                         

La participation portugaise à la première guerre mondiale est rarement évoquée. Les causes de cet engagement sont diverses et assez mal connues. L’assassinat du roi Carlos 1er en 1910, met fin à la monarchie et le Portugal devient une république démocratique. C’est le seul état indépendant, à avoir connu autant de difficultés pour mener sa politique intérieure et extérieure durant cette période, en gardant sa liberté de décision et d’action, la fierté propre à un peuple découvreur de nouveaux mondes pour le monde, et sa place - pays possédant les plus anciennes frontières du continent - dans le concert des nations européennes.

                                                                 

Bien avant le conflit, en 1898, la Grande-Bretagne, alliée du Portugal depuis le XIV siècle, s’était accordée avec l’Allemagne pour se partager les nombreuses colonies portugaises. Ces accords sont restés secrets et même démentis par Londres en 1912. En février 1913, les soupçons au sujet de leur existence   se confirment. Leur mise à jour est faite sous la pression allemande, après que le Portugal a demandé un emprunt à la perfide Albion.

En cas de non remboursement, les signataires de l’accord se partageraient le gâteau ! En août 1913 il est signé. C’est ce que Raymond Poincaré considèrera comme: « un triste exemple d’immoralité diplomatique ».

Le 1er août 1914 l’Allemagne déclare la guerre à la Russie, deux jours avant de la déclarer à la France. L’ogre allemand envahit la Belgique et le Luxembourg. Le gouvernement britannique demande au Portugal, par l’intermédiaire de son ambassade à Londres, de publier une déclaration de neutralité. Le lendemain, le Royaume-Uni déclare la guerre à l’Allemagne, du fait que celle-ci a envahi la Belgique, violant le traité de 1831 qui consacrait la neutralité de ce pays. Les Britanniques informent les Portugais que si les Allemands attaquent une quelconque possession portugaise, le gouvernement de Sa Majesté se considérera lié par les accords d’alliance anglo-portugais.

Quelques jours plus tard, un traité de commerce et de navigation est signé à Lisbonne entre le Portugal et le Royaume-Uni.

En octobre, alors que la France fait pression sur le Portugal pour que celui-ci mette à sa disposition du matériel de guerre, la Grande-Bretagne invite formellement le Portugal à abandonner sa neutralité et à s’engager aux côtés des alliés. Mais le lendemain la diplomatie britannique, toute faite d’ambiguïté et de manœuvre en sous-main, fait savoir que le gouvernement ne veut rien demander aux Portugais qui pourrait entrainer un manque à la neutralité.

En novembre, la France demande officiellement au Portugal l’envoi de 32 pièces d’artillerie sur voie ferrée, assurant que celles-ci seront approvisionnées de la même manière que les batteries françaises. Les anglais demandent 48 pièces et deux batteries à cheval en renfort de l’armée belge.

Le Portugal fait embarquer 56 canons à destination des britanniques.

Malgré la connaissance, par les autorités portugaises, des anciens et perfides accords anglo-germaniques sur le partage des colonies portugaises, le parlement pense que l’engagement aux côtés des alliés, écartera ce danger et fera mieux reconnaitre la jeune république par les autres puissances. Les Portugais francophiles penchent pour une intervention sur le front français, alors que les anglophiles prônent le non interventionnisme.

En février 1915, le Portugal réquisitionne tous les navires allemands présents dans les ports lusitaniens du continent, des îles et de l’outre-mer, pour les mettre au service de l’alliance luso-britannique.

Dans le même temps, le pays envoie un corps expéditionnaire dans les colonies africaines pour les défendre des attaques allemandes.

En mars 1916, l’Allemagne déclare la guerre au Portugal du fait de la capture par ce pays de ses navires marchands : 70 unités allemandes et 2 austro-hongroises. Le Portugal entre formellement dans la première guerre mondiale.

Un Corps expéditionnaire fort de 30 000 hommes se constitue près de Lisbonne. La France demande du personnel pour servir 20 à 30 batteries d’artillerie lourde française. Le Corps d’artillerie portugais indépendant (non inclus dans le corps expéditionnaire) est constitué. Son effectif avoisine 1000 hommes.

Le Corps expéditionnaire (CEP) est formé en division d’infanterie renforcée.

Le 2 février 1917, la 1ère brigade du CEP débarque à Brest. Jusqu’alors uniquement habitués aux conditions de guerre dans les colonies, les soldats prennent contact avec les dures conditions climatiques qui leur sont imposées par le combat dans les tranchées, dans la région de Thérouane, dans les Flandres françaises, lieu de concentration des troupes portugaises. La division est élevée au rang de Corps d’armée.

Un deuxième contingent rejoint le territoire français.

De mai à octobre ont lieu les apparitions de la Vierge aux trois jeunes bergers portugais à Fatima. La guerre favorise l’intensification de la foi et du culte marial en particulier.

En juin les premières attaques allemandes dans le secteur de la 1ère brigade, ont lieu. La 2ème brigade se déploie sur le front. La troisième bataille d’Ypres se situe au nord du front portugais. La 4ème brigade (2ème division) entre dans le secteur de la ligne de front.

Le premier contingent du Corps d’artillerie portugais indépendant, appui direct du Portugal à l’effort de guerre français, arrive dans la zone de concentration. Il est désigné comme «  Corps d’artillerie lourde portugais ».

Par manque de navires de transport britanniques, les cadres du corps expéditionnaire ne seront plus complétés ni remplacés. Les effectifs sont de 60 000 hommes.

Lors de la bataille de La Lys, la 2ème division portugaise est mise en déroute submergée par trois lignes d’assaut allemandes, soit un total de douze divisions à Neuve-Chapelle.

Le village de Neuve-Chapelle, occupé par les Allemands le 28 octobre 1914, est récupéré par les alliés pendant la bataille des 10, 11 et 12 mars 1915 ; retombé aux mains de l’ennemi en avril 1918, l’agglomération est définitivement reprise en septembre.

En 1877 les familles Bocquet et Plouvier avaient fait ériger un calvaire à l’angle de la rue du Bois et de l’actuelle rue Jacquet dans cette petite ville du Pas-de-Calais. Pendant l’offensive d’avril 1918, ce calvaire avec la statue du Christ, se dressait entre les lignes portugaises et allemandes. Malgré les combats, qui ont transformé le village en champs de ruines, le christ continuait de s’élever au-dessus de la plaine désolée. Mutilé par les coups de la mitraille allemande, dans cette zone tenue par la 2ème division d’infanterie portugaise, il tombe dans les tranchées… Les soldats portugais empreints d’une très grande foi, y voient un signe. Ils   décident de l’abriter dans leur tranchée pour s’attirer la protection divine, et se sentent protégés par sa puissance, pendant cette grande bataille. Les membres de la brigade, mise en déroute, réussissent à se regrouper et à rejoindre les lignes alliées, emportant avec eux le christ providentiel.

Le 8 avril 1958, date marquant le quarantième anniversaire de cet événement, les familles Bocquet et Plouvier décident de remettre le Christ des Tranchées au gouvernement français pour en faire don aux Portugais. Il est transféré à Lisbonne. Depuis cette date, il est vénéré dans la Salle du Chapitre du Monastère de Batalha,   veillant sur les tombes des deux soldats inconnus portugais. L’un en mémoire de cette guerre, l’autre rappelant les morts des guerres coloniales.

En France, il y a l’Arc de Triomphe à Paris, et sa « flamme éternelle » à la mémoire du Soldat Inconnu qui y est inhumé, rappelant aux vivants ceux qui par le passé sont morts pour défendre notre pays. Au Portugal, le monument choisi pour ce rappel n’est autre que le glorieux Monastère de Batalha, qui célèbre déjà lui-même, la victoire des Portugais sur les Castillans à la bataille d’Aljubarrota ( 1384). C’est en se promenant dans le Cloître Royal du roi Dom João I,   que l’on découvre la Salle du Chapitre, toujours gardée par des militaires. A l’entrée de cette salle on peut remarquer, en permanence, d’autres militaires se reposant. On comprend très vite, la raison de leur présence : à l’intérieur, gardant les tombeaux, deux soldats ne bougeant pas d’un poil gardent la mémoire de deux des leurs, tombés sur le front, veillés par la petite flamme d’une lampe en bronze et… par le Christ des Tranchées.

Lieutenant-colonel (er) Antoine Marquet